La fureur à propos du poème de Günter Grass sur Israël m’a fait penser à quel point les journalistes sont sujets à la censure en Europe.
Dans un article d’opinion paru dans le journal israélien Haaretz, Gideon Levy rappelle comment les journalistes travaillant pour le groupe médiatique allemande Axel Springer étaient, pendant des années, obligés de signer une convention stipulant qu’ils n’avaient pas le droit de rédiger des écrits remettant en cause l’existence d’Israël.
Non seulement Axel Springer possède le plus grand nombre de journaux circulant à travers le monde (comme Die Welt et Bild), en plus le groupe a joué un rôle important dans les débats sur le renforcement politique et les liens économiques d’Israël avec l’Union européenne.
En 2007, un « dialogue économique » entre l’Union européenne et Israël a été établi, mettant en place un forum annuel où les grands entrepreneurs peuvent réfléchir à la manière de supprimer tous les obstacles qui peuvent entraver la maximisation du profit. Mathias Döpfner, le chef executif d’Axel Springer, a été choisi comme représentant européen au forum.
Responsabilité spéciale ?
Deux ans plus tard, Döpfner s’exprime dans The Jerusalem Post : « Il est important que nous n’oublions jamais le passé allemand et ce que l’Allemagne a fait, et à cause de cela, nous avons une responsabilité spéciale dans le soutien à Israël et c’est quelque chose que nous devons continuer de génération en génération pour nous assurer que cela ne s’oubliera jamais. »
Apparemment, cette responsabilité spéciale implique de garder les yeux fermés sur les crimes commis par vos partenaires de « dialogue » – ou pire de soutenir activement leurs crimes. Les participants israéliens au forum – qui ont le soutien total de l’exécutif de l’Union européenne, à savoir la Commission européenne – dont Elbit, le manufacturier d’armes dont les produits sont souvent utilisés pour tuer et mutiler des Palestiniens. Bank Leumi et les librairies Steimatsky, qui ont tous les deux des filiales ou des magasins dans les colonies illégales en Cisjordanie, font également partie de ces participants, ainsi que le Saban Capital Group.
Haim Saban, qui dirige le Saban Capital Group est un actionnaire important de Bezeq, qui fournit les services de télécommunications à l’armée israélienne. En tant que titulaire d’un média, Saban a été invité à rejoindre le conseil de la télévision française TF1, en 2003. TF1 a été fondé par Bouygues, qui a acquis 23 pourcent d’actions dans l’entreprise d’énergie et de transport Alstom en 2006. En partenariat avec Veolia, Alstom a également développé un tram réservé quasi exclusivement aux colons israéliens dans l’Est de Jerusalem.
Les sionistes et leurs sympathisants contrôlent de larges parts des médias les plus courants dans les trois plus grands pays issus de l’UE : l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne.
Murdoch ne comprend pas la Palestine
Une des rares actions valorisantes d’Alastair Campbell, chef de campagne durant le mandat de Tony Blair en tant que Premier ministre, a été adressée à l’humanité : il a expliqué, dans des termes accessibles, la dévotion aveugle qu’a Rupert Murdoch envers Israël. Dans ses mémoires publiés, Campbell rappelle comment Murdoch a dit à Tony Blair en 2002 qu’il ne pouvait pas comprendre pourquoi les Palestiniens avaient des douleurs. En réponse, son fils, James lui a fait remarquer que les Palestiniens avaient été « chassés de leurs putains de maisons et qu’ils n’avaient aucun putain d’endroit pour vivre ». (Il y a de maigres preuves – cela doit être souligné – que James Murdoch a cherché à éduquer les experts de Fox News ou les autres entreprises appartenant à l’empire que possède sa famille, concernant les réalités à propos du Moyen Orient).
Le problème, selon mon expérience, n’est jamais lié à un seul propriétaire. Les journalistes travaillant pour les médias courants ont tendance à biaiser l’information en montrant uniquement le point de vue du plus fort.
Les biais des journalistes
Lorsque j’ai commencé à écrire à propos du Moyen Orient pour le journal European Voice (qui fait partie du groupe The Economist) en 2001, mon rédacteur en chef m’a dit « nous ne devons pas prendre parti » entre les Israéliens et les Palestiniens. Le même rédacteur était un réserviste de l’armée anglaise, qui a personnellement participé à l’occupation de l’Irak. Lors de ma toute première réunion éditoriale, il a fait une blague sur mes origines irlandaises qui feraient que je sois familier aux armes utilisées par les « terroristes ». Bien qu’il se soit excusé pour cet écart, cela reflète son état d’esprit : les Palestiniens étaient des « terroristes », selon son point de vue (je me souviens de lui surnommant Yasser Arafat de terroriste).
Il s’est avéré que ce rédacteur était en fait bien plus ouvert d’esprit que la plupart des autres journalistes anglais que j’ai pu croiser. Il avait, au moins, la volonté d’engager et de travailler avec des reporters de différentes classes et différentes nationalités. Un de ses successeurs pour le poste de rédacteur en chef d’European Voice a mis en place une politique restrictive qui ne permet d’engager que des diplômés de Cambridge. Comme ces brillants jeunes hommes et femmes viennent de milieux très privilégiés, l’idée que les journalistes avaient un devoir de défense envers les plus démunis leur était étrangère. Comme son équivalent américain Roll Call, à Washington, European Voice est l’un des journaux les plus répandus parmi l’élite de Bruxelles.
Pendant trop longtemps, la plupart des journalistes et intellectuels européens ont accepté l’idée de ne jamais traiter Israël d’entreprise raciste. Bien qu’il y ait quelques personnes de bonne volonté travaillant dans les médias dominants, je ne pense pas que le changement viendra de là. Heureusement, Internet offre de nombreuses possibilités pour développer des alternatives. Saisir les opportunités offertes par Internet est vital pour atteindre la justice.
●Traduction : www.michelcollon.info
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